Voile – « Jeudi 12 », 50 ans d’une légende vivante
Daniel Voruz est navigateur, architecte et constructeur naval. Il a porté tout au long de sa carrière un soin particulier à ses réalisations. Il a aimé son métier. Il est aussi excessivement modeste. Les voiliers issus de son chantier, les Jeudi 12 et 6.5m, ont brillamment concouru sur les différents plans d’eau du lac et au-delà. La proximité de l’ancien chantier avec Moratel, la sympathie du constructeur naval et l’excellence des voiliers nés de son savoir-faire nous incitent à faire connaître ici l’histoire d’un magnifique voilier au palmarès prestigieux, le Jeudi 12.
Historique
L’histoire des Jeudi 12 a débuté en 1972 alors que Daniel travaillait chez Egger à Saint-Aubin, un chantier naval qui construisait alors des 5.5 JI de renommée internationale. À la même époque à Cully, les frères Michel et George-André Blondel s’intéressaient à la série des Flying Forty dont le numéro 13, amarré à Moratel, appartenait à leur ami Bernard Brot. L’idée initiale des Blondel était d’acheter une coque nue de Flying Forty au chantier naval Luthi sur laquelle élaborer un nouveau voilier. L’affaire ne s’étant pas faite, les deux frères ont confié à Daniel le soin d’établir le plan d’un voilier plus grand. Le but des futurs propriétaires était que le nouveau voilier soit au moins aussi rapide qu’un Flying Forty. L’idée de Daniel, avec une construction en bois moulé dotée d’un mât de 5.5m, était de réaliser une unité à l’aise dans les petits airs.
« Le nouveau voilier s’appellera Jeudi 12, et il doit terminer sa traversée d’Atlantique
un jour avant Vendredi 13, le célèbre détenteur du record » Daniel Blondel
Or, tracer le plan d’un voilier confortable et le faire gagner sont deux thèmes qui requièrent un certain talent. « Espace, confort, vitesse » fut la devise du constructeur. Il traça un plan qu’il présenta à l’architecte naval Pierre Noverraz, co-créateur du légendaire Toucan, qui l’aida même à calculer la résistance du gréement. La construction dura d’avril à novembre 1973 dans un abri aménagé à cet effet sous la nouvelle route cantonale, au cœur de Cully. Après environ 2000 heures de professionnels et 1000 fournies par les frères Michel et Georges-André Blondel aidé de son épouse Nicole, la mise à l’eau fut dignement fêtée le 24 novembre 1973 à Lutry, du fait du manque d’eau à Moratel.
Construit en bois moulé trois plis, ce premier Jeudi 12, mesurait 9.35 mètres hors tout pour un bau maxi de 2.52 mètres et déplaçait 2440 kilos. Son tirant d’eau était de 1.40 mètres avec un lest en plomb de 1400 kilos coulé dans le jardin des frères Blondel. Le cahier des charges stipulait que le voilier devait marcher dans les petits airs, être simple et habitable pour de courtes croisières, recevoir un gréement de 5.5m du fait de nombreuses voiles d’occasion disponibles à cette époque, répondre à la jauge ABC et entrer dans le port de Moratel.
Nicole Blondel trouvait ce bateau parfait, bien construit, soigné dans la finition. « Daniel était perfectionniste, ajoute-t-elle, contrairement au Flying Forty où de nombreuses échardes gâchaient le plaisir de la cuisine ». Elle se souvient d’avoir préparé aux navigateurs des déjeuners avec œufs et lard, « avec du chaud » sur le gaz. L’équipage courrait le ventre plein, ce qui contribua sans doute à leurs excellents résultats. Son mari se souvient des premières voiles Fragnière, un expert en la matière, puis de Watts, un américain venu tout exprès dont les voiles étaient un must. Le bateau avançait alors qu’il n’y avait aucun vent, et offrait des conditions sportives par forte vaudaire.
« Le nouveau voilier s’appellera Jeudi 12, et il doit terminer sa traversée d’Atlantique un jour avant Vendredi 13, le célèbre détenteur du record » dixit les frangins optimistes, se souvient Daniel ! En tous cas, le nouveau-né allait être bien plus rapide qu’un Flying Forty !…
Ce bateau à la robe vert tendre baptisé Jeudi 12, le The, Dze avec l’accent culliéran, LE en français, comme l’appelait Daniel, donna son nom à la série de tous les Jeudi 12. On le retrouve encore régulièrement aux régates de Lutry et de Pully. Z 612, son premier numéro dans la grand-voile, fut ensuite vendu à Jean Jacques Schwaab et Kurt Oesch, et arbora le numéro Z 1 qui allait devenir SUI 1.
« C’est le premier lesté sur lequel j’ai navigué, il appartenait alors à mon père et Kurt Oesch (qui a été président du Conseil d’administration de la CGN il y a quelques années), se souvient Jean Christophe Schwaab. Il ne portait pas encore le SUI 1, mais le Z 612. C’était mes premières croisières, ma première Cully-Meillerie, souvent avec Greg Bovard (qui partage aujourd’hui le Clandestino et navigue sur le T2)… Notre objectif de régate était de finir devant les Toucans-cabine, et on y arrivait quelques fois! Il avait alors une couleur bien vaudoise, vert et blanc. C’est vraiment un bateau magnifique. »
Ce premier Jeudi 12, fut revendu le 22 mai 1991 à Gilles Favez qui navigua avec et y habita.
« Nous visons Morges et ça paie ! A nous «l’orgasme vélique » ! Gilles positionne l’étrave du JEUDI comme il le ferait d’un dériveur, l’étrave s’enfonce, l’eau commence à bouillonner sur le pont de l’étrave… et… c’est le coup de pied aux fesses ! La bête s’envole, l’eau est pulvérisée, la vague d’étrave est au bau maxi… c’est SUPER ! » Ces lignes d’Alain, un équipier de Gilles Favez, sont extraites de la plaquette du JEUDI 12 et montrent lors du Bol 1993 le sentiment (voire plus…) que procurait ce beau bateau.
(à suivre)
Photos G.A. Blondel
Sources : Skipper, plaquette Jeudi 12, Daniel Voruz, George-André et Nicole Blondel
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