Lavaux – Un début de vendanges précoce mais heureux
Les vignerons peuvent compter sur la solidarité et l’enthousiasme de ces habitués du terroir
Les pluies récentes ont redonné le sourire aux vignerons de Lavaux et c’est dans la joie que le bal des vendanges s’est ouvert cette année.
Manon Hervé | Après un été caniculaire qui a mis les vignes à rude épreuve, les averses des deux dernières semaines ont été les bienvenues. Tant qu’ils ne leur apportent pas la grêle, les vignerons accueillent les orages avec soulagement cette saison. Si le millésime 2021 avait été marqué par la pluie et les maladies que cette dernière favorise, celui de 2022 le sera par la sécheresse : le changement climatique n’a jamais été aussi manifeste que ces dernières années.
Excellent état sanitaire du vignoble
Bien qu’extrêmes, les conditions météorologiques de cette année ont eu l’immense bénéfice d’éviter les maladies de la vigne. Aucune perte due au mildiou ou à l’oïdium n’est à déplorer pour 2022, alors que ces deux maladies étaient les premières responsables de la réduction générale de la quantité de vin produite l’an passé. Après l’avoir tant haïe l’année passée, toute la profession a cette fois salué l’arrivée de la pluie comme une bénédiction. Les averses de fin août ont pu, dans un premier temps, abreuver les sols déshydratés, puis les nourrir. Les volumes des grains particulièrement réduits sur certains parchets ont ainsi augmenté, promettant de jolis rendements. A l’amorce des vendanges, l’excellent état sanitaire actuel des vignes permet aux vignerons d’entrer de bon cœur dans cette période de récolte.
Dans diverses zones de Lavaux, le glas des vendanges a sonné, plus ou moins cent-dix jours après la floraison, comme le veut la tradition vigneronne. Cette coutume locale, fondée sur le sens de l’observation caractéristique de nos anciens et leur fort contact avec la terre, repose en réalité sur plusieurs critères déterminants de la maturité des raisins : le nombre de degrés Oechslé qui indique le taux de sucre dans le fruit, le niveau d’acidité également, ainsi que la maturité phénolique définie par la concentration d’anthocyanes dans la pellicule des baies.
Choisir la date juste
La date d’ouverture de la période de vendanges fait souvent débat au sein de la communauté vigneronne : certains préfèrent commencer dès que possible, d’autres sont plutôt partisans d’attendre encore un peu… Alors comment cette date est-elle réellement déterminée ?
Pour être le plus juste possible, deux outils sont à la disposition des vignerons : la dégustation des baies par des palais avisés et les analyses chimiques qui donnent une description précise des teneurs des divers composants.
Dans un monde idéal, les multiples conditions de la maturité sont toutes remplies et préférablement en même temps. Dans le monde réel, les vignerons doivent jongler et s’adapter. Un millésime pluvieux ne permettra peut-être pas d’attendre la maturité optimale mais la date des vendanges sera avancée pour éviter de perdre la totalité de la production aux mains de la pourriture. Tandis qu’un millésime chaud et sec comme celui en cours facilitera la concentration en sucre nécessaire mais pourra être à l’origine d’un manque de jus dans les grains ou de potentiel aromatique, impactant aussi bien la quantité de production que sa qualité. Cela peut pousser les vignerons à retarder la date des vendanges dans l’espoir de remplir au mieux toutes les conditions requises.
La date du début des vendanges varie également en fonction des sols et de l’exposition des parcelles, toutefois cette année tout le monde s’accorde sur un point : cela fait longtemps que l’on n’avait pas vendangé aussi tôt.
Une maturité du raisin de plus en plus précoce
Selon les observations faites par le centre de recherche Agroscope de Pully, le millésime 2022 marque un nouveau record de précocité.
Depuis 1925, le centre de recherche Agroscope suit le développement saisonnier de la vigne, de sa croissance à la véraison (indicateur du début de la maturation du raisin) en passant par la floraison. Dans le cadre de cette étude, les différents stades d’évolution ainsi que les dates de vendanges ont été enregistrés depuis 96 ans pour le Chasselas. Cette longue série d’observations des variations des phénomènes de la vigne en fonction du climat nous procure une large base de données permettant de conclure que, depuis 1985, la maturation du raisin est de plus en plus précoce.
Ces trente-huit dernières années, l’augmentation de la température a été générale et s’est principalement faite ressentir durant les printemps et les étés. Cette année, les mois printaniers ont enregistré des chaleurs exceptionnelles entraînant une maturation du raisin dès la mi-juillet alors que la moyenne lissée sur la période d’étude de 1925 à 2022 pour ce stade végétatif s’établit au 13 août. Le vignoble a donc globalement eu une avance de maturité de plus de trois semaines par rapport à la moyenne établie. En conséquence, la date de début des vendanges ne peut qu’être proportionnellement avancée.
Le Chasselas comme référence
Tous les cépages ne sont pas matures au même moment. Le Chasselas est une référence de maturité : un cépage est dit « précoce » s’il est mûr avant lui, tel le Pinot noir, ou « tardif » s’il atteint son stade de développement optimal après. Les raisins seront donc vendangés selon l’ordre et le niveau des maturités phénoliques de chaque variété. La saison de récolte va s’étaler sur
plusieurs semaines et impliquera probablement des interruptions, le temps de laisser mûrir certains cépages à leur rythme.
Cela implique une intendance délicate pour le recrutement de saisonniers. Fort heureusement, la viticulture ne manque pas de main-d’œuvre. Dans le vignoble traditionnel de Lavaux, familles et amis ne rechignent pas à mettre la main à la pâte durant cette période intense et les vignerons peuvent compter sur la solidarité et l’enthousiasme de ces habitués du terroir.
Ainsi, le bal des vendanges s’est ouvert dans le vignoble et c’est notre bien-aimé Pinot noir qui ouvre la danse.