La petite histoire des mots
Crise
Crise énergétique en Europe ; crise politique et économique au Royaume-Uni ; crise humanitaire en mer Méditerranée ; risque de crise sanitaire en cas de nouvelle vague pandémique ou encore crise sécuritaire au Sahel… Il n’y pas un jour où le mot « crise » n’interpelle celles et ceux qui suivent l’actualité. De nos jours, ce mot anxiogène évoque une période de tensions et de changements qui se caractérise par des grandes incertitudes, pouvant produire des exaspérations et aussi, parfois, des explosions de violence ou de révolte.
Issu du latin tardif « crisis » qui définit un paroxysme soudain dans l’évolution d’une maladie, et adopté par la langue française dès le fin XIVe siècle sous la forme « crisin » ou « crisim », ce terme avait initialement un sens strictement médical. Il désignait un changement rapide et grave dans l’état de santé d’un patient. Ce sens nous a donné des expressions telles que « crise cardiaque », ce trouble grave qui survient quand l’apport en sang riche en oxygène est interrompu dans le muscle cardiaque ; « crise d’asthme », pour définir un épisode de grande gêne respiratoire ou encore, en psychologie, « crise de désespoir » pour désigner l’un des symptômes d’une dépression profonde.
Ce n’est que vers la seconde moitié du XVIIIe siècle que, d’abord dans la littérature, sous la plume de Jean-Jacques Rousseau par exemple, le mot « crise » commença à traduire un développement alarmant dans le cours des choses en général. Le siècle suivant, « crise » fut ainsi progressivement associé à la finance, à l’économie, à la politique ou encore à la morale pour caractériser une période d’instabilité et de remise en question.
Il est intéressant de relever que le mot latin « crisis » a lui-même été emprunté au grec « krisis » qui avait plusieurs définitions, les quatre principales étant « l’action de distinguer », « l’action de choisir », « l’action de séparer » et « l’action de décider ». En empruntant ce mot au grec le latin lui attribua uniquement un sens médical. Mais en revenant à son sens étymologique initial, on peut dire qu’une crise est une période de transition qui coïncide avec le moment de « faire un choix » pour triompher et sortir des difficultés.
A cet égard, il faut relever que, selon l’Académie française, on doit éviter d’employer le mot « crise » pour parler de phénomènes durables, le réservant « à des évènements précis et limités dans le temps ». Dans cette optique, goûtons avec un zeste d’optimisme cette citation du sociologue et économiste français Alain Touraine, selon qui « le changement du monde n’est pas seulement création et progrès, il est d’abord et toujours décomposition et crise ».