Toucan 5 – Le disparu de Lutry – Un roman de Christian Dick
Arrivé au port de Moratel, il regarda de la surélévation du parking Amanda occupée à débâcher le canot à moteur. Elle pliait la toile avec soin et méthode. Mais ce fut sa silhouette, son attitude qu’il observa. Il la trouva infiniment belle et désirable. Comment avait-il pu laisser passer la chance, il y a deux ans?
Elle devait se sentir observée. Elle se retourna et vit Cordey. «La veille avait connu un certain succès», s’était-il dit. Pensait-elle de même? Devaient-ils se convaincre que l’avenir se jouait sur une seule sortie de quelques heures? Amanda sourit. Il fit un grand geste, elle esquissa un nouveau sourire et posa la bâche sur le ponton flottant. Il semblait moins maladroit que la veille. Son pied s’habituait aux manoeuvres.
– Tout va bien? demanda-t-il en l’embrassant.
– Oui.
– Contente?
– Oui. Je suis là, toi aussi. Je n’ai rien prévu.
– C’est moi qui t’invite, dit Cordey. Allons où tu veux.
Amanda tourna la clé d’un cran. La ventilation fonctionnait. Après un moment, elle commanda une nouvelle position à la clé. Le moteur démarra au quart de tour. Un bruit sourd envahit l’air.
– Nous sommes partis, annonça-t-elle.
– Avais-tu un doute?
– On ne sait jamais avec ces vieux bateaux.
– La vie nous sourit, dit Cordey en lui prenant le bras.
Plus tard, alors qu’ils se trouvaient à mi-chemin entre Cully et Meillerie, Amanda tira la poignée des gaz. Le canot ralentit, fut rejoint par ses propres vagues et tangua un moment. Cordey se rapprocha d’Amanda. Il contempla son visage, ses lèvres, ce qu’il aimait en elle, ce qui lui rappelait leurs heures merveilleuses.
– Parlons d’abord un peu de ton affaire, murmura-t-elle en se tournant vers lui.
– Voilà ce qu’on sait, répondit Cordey après un moment. Jacques Morrens sort son Toucan, apparemment seul. Il quitte Lutry dans la matinée et navigue à la voile, ce qui reste à déterminer. Je n’ai pas trop de détails. Mais j’imagine qu’il avait prévu, selon son plan météo, d’arriver le jour même à la Nautique. Le garde-port devait en être informé. On sait aussi qu’une forte bise s’est levée. Ça paraît plausible?
– Jusque là oui.
– Je note, fit-il en ouvrant son calepin. A-t-il pu s’arrêter en route?
– Toujours possible, admit Amanda, mais peu probable. Amener les voiles à l’entrée du port, tenter seul un amarrage… C’est toujours un peu hasardeux quand la bise est forte. Pourquoi aurait-il pris ce risque? D’ailleurs, convoyer un voilier à une régate, c’est arriver par la voie la plus directe. Naviguait-il au moteur?
– Ça reste à vérifier. On pense qu’il naviguait seul et à la voile.
– Vois juste s’il y avait un hors-bord vissé au cul de l’épave.
– A quelle vitesse penses-tu qu’il ait pu naviguer?
– Difficile à dire. Il faudrait voir la météo du jour. Ce qui m’intéresse ici, poursuivit Amanda, c’est pourquoi cette jetée et pas une autre? Pourquoi si loin d’une trajectoire idéale et si proche de la rive? Problèmes de visibilité? Etait-il encore à bord au moment de l’impact? C’est vrai, c’est bizarre.
– Donc, selon une hypothèse à vérifier, en partant dans la matinée de Lutry, mettons vers 10h, il pouvait arriver le soir même à Genève et, forcément, statistiquement, s’échouer à Versoix?
– C’est possible, admit Amanda. Les Toucan font la boucle du lac en moins de vingt-quatre heures. A nouveau, tout est question de météo.
– Mais Mme Morerod m’a parlé d’un échouage en fin de journée…
– On n’en sait rien. Selon ce que tu m’as dit, c’est seulement le lendemain qu’on a découvert le voilier. Peut-être n’était-il pas trop pressé d’arriver? Ou s’est-il effectivement arrêté?
– J’irai voir Schneider. Là, on piétine un peu.
– Pas vraiment, fit-elle. On avance une théorie qu’il s’agira de vérifier. Ça t’aide aussi à comprendre.
– «L’aspect lémanique», songea l’ex-inspecteur.
– Ça te travaille, n’est-ce pas?
– Laissons ça de côté un moment.
Amanda était belle et intelligente aux yeux de Cordey. Elle répondait à ses questions. Et à son attente. Il lui prit la main et la tint longuement. Ils s’étaient rapprochés l’un de l’autre. Un vent léger soulevait la chemise d’Amanda, qu’elle finit par enlever. Cordey défit la sienne. Il prit dans sa grosse main un des seins lourds d’Amanda qu’il embrassa furieusement.
* * *
Le soir, après avoir amarré le canot, ils s’arrêtèrent au Cercle. Parisod y prenait un verre en compagnie de Pierre Affolter, un autre navigateur.
– Tenez, fit le vigneron en leur tendant un verre.
Ils trinquèrent.
– Ça a joué du coté du petit lac? demanda Parisod.
– On a vu la jetée, répondit Cordey. Difficile de se faire une idée très précise.
Dans la discussion, le vigneron confirma la vitesse du Toucan et l’hypothèse d’Amanda. Cela signifiait que le voilier pouvait relier Lutry à Genève en six, voire en douze heures selon les airs.
– Le temps nous a manqué pour la Nautique, mais ce serait bien qu’on y aille ensemble.
– On a les effeuilles à la vigne. C’est du boulot.
Cordey ne disait rien. C’est parfois la meilleure attitude pour obtenir un assentiment.
– J’arriverai à m’arranger, finit par dire le vigneron. Ça devrait aller. On partirait vers 6h. D’ici là, essaie qu’on t’introduise. Ça vaut mieux. On gagnerait du temps. Surtout, on n’irait pas pour rien.
– J’appelle Mme Morerod.
Elle rappela Cordey peu après, porteuse d’une bonne nouvelle.
– 6h après-demain, c’est parfait, fit Cordey en regardant le vion.
Amanda et Cordey quittèrent le Cercle vers 21h. Elle laissa sa voiture et l’accompagna dans la sienne.
– Changera-t-il un peu? se dit-elle, les sens en éveil.
A SUIVRE…