Rencontre avec un peintre espagnol en pays vaudois

Juan Martinez, peintre de l’intranquillité
Pierre Jeanneret | Aujourd’hui, c’est avec un artiste de renommée mondiale que nous allons nous entretenir. Juan Martinez a exposé à l’Ecole supérieure d’architecture à Barcelone, au Musée des Beaux-Arts de Lyon, au Pavillon espagnol de la Biennale de Venise, à la Kunsthalle de Düsseldorf, et j’en passe… Plus près de nous, on a pu admirer ses œuvres au Musée de Pully en 2008 et à l’Espace Arlaud à Lausanne en 2019.

L’immense atelier du peintre
Depuis plusieurs décennies, le peintre vit à Senarclens, dans une maison qui jouxte un magnifique jardin fleuri, « Le contact de la terre pour moi, c’est comme une antenne », nous dit-il. A côté, dans une ancienne grange, se trouve son immense atelier.
L’artiste, né en 1942, se sent espagnol dans toutes les acceptions du terme : castillan, catalan, andalou, juif, arabe… Il revendique ces identités multiples. D’ailleurs, son nom Juan Martinez Morales pourrait indiquer que ses ancêtres furent des juifs convertis de force, les marranes. En même temps, il est très intégré dans la société vaudoise et grand lecteur de Ramuz. Il regrette seulement, après de si nombreuses années passées dans notre canton, de ne pas jouir des droits civiques.
Jeune, il voulait être danseur. Mais il ignorait tout de la danse classique. Pour cet Andalou, la danse c’était le flamenco. Puis il s’est tourné vers la peinture. Dans les années 1960, il a fait ses études à l’Ecole des Beaux-Arts de Lausanne, où il a bénéficié de l’enseignement d’un grand maître, Jacques Berger (1902-1977). Il a donc quitté l’Espagne, où il revient souvent. S’il n’a pas subi directement la répression franquiste, il a été marqué par le climat d’oppression qui régnait alors. Cela a déterminé son opposition à tous les totalitarismes et son soutien aux opprimés, qui habitent toute sa peinture. Il se sent proche de Goya qui, dans Les désastres de la guerre, a montré les atrocités commises en Espagne par les troupes de Napoléon. Sa peinture est donc « politique » et sociale, mais pas au premier degré.

Des regards fixes qui scrutent et guettent
Que peut-on voir sur ses tableaux, souvent de très grandes dimensions ?
Les visages sont omniprésents. Visage grave d’un chômeur, traduisant les préoccupations sociales de l’artiste, ou visages de paysans, qui ne sont pas sans rappeler ceux, tout empreints de noblesse austère, du film L’Espoir que Malraux a tiré de son roman éponyme. A l’arrière-plan, visages-cris à la bouche ouverte, se réduisant à des formes simplifiées, voire à des têtes de mort stylisées. Regards fixes, presque angoissants, qui scrutent, guettent. On trouve aussi dans son œuvre le thème du masque, « car la plupart des gens portent un masque » (sans aucune allusion au Covid !). Quant au crapaud, il se veut « un symbole du capitalisme agressif ». Certains tableaux, très dépouillés, font songer aux haïkus, ces brefs poèmes japonais. Juan Martinez a conçu en 2017, avec la poète José-Flore Tappy, un livre intitulé 1000 portraits : des visages tantôt rieurs, graves, tristes, angoissés, étonnés, voilés, cadavériques…

Le thème du masque est récurent « car tout le monde porte un masque »
Juan Martinez recourt en général à la peinture à l’acryl, qui permet la rapidité de l’exécution. Il travaille sur de grandes toiles posées sur le sol, parfois sur du papier journal, « car celui-ci est souvent porteur de mauvaises nouvelles ». Il y a donc dans ses œuvres une grande intensité dramatique. L’artiste se veut « un peintre de l’intranquillité ». Quant à la couleur – où le noir et le rouge prédominent –il a horreur de son excès, comme chez les maniéristes et Rubens.
Laissons à Juan Martinez les mots de la fin : « Il me semble que la peinture et la création sont des miroirs qui dénoncent. Il faut rendre compte de la violence contenue dans notre époque et dans son quotidien , de sa barbarie ».

Certains tableaux font penser à des haïkus

Juan Martinez et Pierre Jeanneret, correspondant du Courrier