Regards sur l’Art Brut japonais
Collection de l’Art Brut, Lausanne, jusqu’au 28 avril 2019

Itsuo Kobayashi, sans titre, entre 1982 et 1989, encre et collage sur papier, 28 x 44 (ouvert) photo: Claudine Garcia, Atelier de numérisation – Ville de Lausanne. Collection Eternod Mermod, Lausanne
Pierre Jeanneret | Rappelons que l’Art Brut, concept créé par Jean Dubuffet en 1945, concerne les productions d’auteurs autodidactes, n’ayant pas reçu de formation artistique spécifique, et restés en dehors des circuits commerciaux. La plupart sont en situation de handicap, physique et le plus souvent mental. Beaucoup sont internés dans des institutions. Mais ce n’est pas nécessairement le cas. Certains sont simplement des individus marginaux ou originaux. La Collection de l’Art Brut, espace lausannois d’importance européenne, présente vingt-quatre créateurs contemporains, des deux sexes, de tous âges et provenant de nombreuses régions du Japon. Tous ont en commun le fait de créer en marge de la culture nippone dominante. La question qui se pose forcément: l’Art Brut japonais est-il différent du nôtre occidental? La visite de cette intéressante exposition va permettre d’y répondre, de façon nuancée. Nous mettrons ici en valeur quelques créateurs et créatrices particulièrement originaux. Hiroyuki Doi a exécuté de grands travaux très méticuleux à l’encre sur papier. Il a créé des formes abstraites – qui peuvent cependant avoir une connotation sexuelle – à partir de centaines de petits ronds, ou bulles. Nana Yamazaki tisse des vestes féminines qui tiennent plus de la sculpure sur tissu que du vêtement portable. Akina Miura a réalisé une grande fresque à la mine de plomb sur papier, représentant un Japon d’autrefois: femmes en kimono, soldat dont l’uniforme rappelle l’époque de la guerre russo-japonaise de 1905. Toshio Okamoto représente des silhouettes de personnages d’un noir intense, qui ne sont pas sans rappeler les Expressionnistes allemands du début du 20e siècle. Strange Knight, connu sous son seul pseudonyme, a réalisé des masques d’une grande beauté avec différents matériaux: bois, carton, ferraille, papier mâché, etc. Cet usage de matériaux de récupération est d’ailleurs assez typique de l’Art Brut. Et bien sûr, ses masques – il y en a plus de 20’000 dans et autour de son logement! – ne sont pas sans évoquer le théâtre Nô, si profondément ancré dans l’âme japonaise. L’artiste, décédé récemment, en portait toujours un lorsqu’il livrait les journaux, son travail quotidien. Quant à Kazumi Kamae, qui n’a pas la capacité de s’exprimer verbalement, elle a façonné des créatures anthropomorphiques à l’aide d’innombrables petites perles d’argile en forme de grain de riz. Ces statuettes, qui ont un aspect fantastique, expriment en fait son amour pour le directeur de l’atelier d’arts plastiques où elle travaille. Mais l’œuvre sans doute la plus curieuse est celle de Komei Bekki. Cet ancien cuisinier dans un restaurant remplit des carnets illustrant et décrivant minutieusement tous ses repas. Là, on plonge totalement dans l’atmosphère nippone, avec ses crevettes frites, ses poissons, ses arrangements de légumes… mais aussi ses sandwiches à l’occidentale qui montrent bien le caractère duel d’un pays à la fois attaché à ses traditions et hyper occidentalisé. Les créations de l’Art Brut japonais ne sauraient donc être que le reflet de cet environnement. Rappelons enfin qu’à côté de cette exposition temporaire, on peut voir ou revoir la collection permanente: une visite qui plaît autant aux enfants qu’aux adultes!
«Art Brut du Japon. Un autre regard», Collection de l’Art Brut, Lausanne, jusqu’au 28 avril 2019.

Kazumi KAMAE, Masato chantant au Karaoke, 2014, céramique, 48 x 25 x 25 cm Photo: Marie Humair, Atelier de numérisation –Ville de Lausanne
Collection privée David et Sabrina Alaimo

Momoka Imura, sans titre, après 2013, tissus et boutons en plastique, dimensions variables Photo: Marie Humair, Atelier de numérisation – Ville de Lausanne. Collection privée David et Sabrina Alaimo

Les œuvres sont mises en valeur par une scénographie de qualité