Proches aidants en Lavaux-Oron
Le proche aidant trouve la force d’entourer le malade dans l’amour qu’il a pour lui

Gil. Colliard | Dans nos deux dernières éditions, nous avons reçu les mots de proches aidants de personnes atteintes physiquement dans leur santé. Qu’en est-il lorsque l’esprit de l’être aimé s’enfonce petit à petit dans la nuit? D. a accepté, malgré l’émotion à fleur de peau, de nous livrer son parcours de proche aidante de son mari, à qui le monde médical avait diagnostiqué une démence évolutive à l’âge de 59 ans.
Assumer l’évolution de la maladie au quotidien sans sombrer à son tour
Une jolie maison, une famille heureuse, chacun une carrière professionnelle intéressante, une vie bien construite faite pour durer, jusqu’au jour où son mari s’est inquiété de ses manquements de mémoire. «J’ai d’abord minimisé son anxiété et mis ses oublis sous le fait du stress au travail. Nous sommes partis en vacances et là, j’ai dû me rendre à l’évidence que quelque chose n’allait plus» se souvient D. Au retour le diagnostic a été sans appel, dégénérescence du cerveau. Un choc immense pour le couple et sa famille. Un époux, un papa, qui n’est plus le roc sur lequel on s’appuie mais qui redevient un enfant. «Dès le début, il s’est complètement reposé sur moi. Je devais suppléer à tous ses oublis. Il est entré dans une période de grosse dépression avec tentatives de suicide. Je me suis sentie complètement impuissante, plus jamais sereine» témoigne D. qui a dû s’accrocher pour ne pas tomber avec lui. Une rencontre avec un psychiatre du CHUV, qui a intégré son mari à son parcours professionnel, a été d’un profond réconfort à chaque étape de la maladie. Au fil du temps, le piège de la maladie évolutive se referme sur le proche aidant qui, au départ, est persuadé d’assurer tout, tout seul. Les moments de répit se raréfient, la fatigue s’installe. «Mon erreur a été de ne pas demander de l’aide. J’ai pourtant fait un essai en le mettant en accueil temporaire. Une catastrophe, il pleurait en partant. Angoissée, je ne profitais pas de ma journée me demandant comment j’allais le récupérer le soir» relate D. se remémorant avec tendresse, la volonté de son mari de mettre en ordre ses affaires et d’assurer l’avenir de son épouse, alors qu’il sentait arriver la fin de sa pleine capacité de discernement.
Une décision salvatrice pour la santé du proche aidant mais au prix d’une profonde culpabilité
En 2016, D. a été gravement atteinte dans sa santé et hospitalisée. Placé en EMS à proximité du CHUV, son mari avait la possibilité de venir la voir souvent. «En fin de traitement, j’étais au bout du rouleau, j’avais besoin de calme et de repos. Mon mari s’est enfui par la fenêtre de l’EMS qui l’avait accueilli. Après un périple à pied, il a pris un taxi et 4h plus tard, était chez nous. Je l’ai donc gardé à la maison et là, j’ai ressenti la solitude du proche aidant.» Pendant 12 ans, D. a été la béquille de celui qui partage sa vie, organisant des promenades, des vacances. Un plaisir pour lui, une charge énorme pour elle. «En 2018, après une grippe, il a cessé de s’alimenter et a été hospitalisé au CHUV. Le voyant tellement affaibli, j’ai d’abord refusé de le reprendre. J’ai fait un essai quelques jours plus tard, mais il tombait tout le temps. Il a été hospitalisé à Cery, le seul endroit où j’ai vraiment trouvé de l’aide, puis transféré en EMS. Là, je l’y ai laissé, avec un énorme sentiment de culpabilité. Bien que toute ma famille ait compris ma décision, je me suis sentie plus coupable que soulagée. Chaque fois qu’on me demande pourquoi je ne le reprends pas, c’est un coup de couteau dans mon cœur» témoigne D.
Découragement dû aux tracasseries administratives et à une attente insupportable
Mais le parcours du proche aidant ne s’arrête pas lors de la mise en institution de l’être dépendant. Il y a les visites et surtout les démarches administratives à n’en plus finir. «Quand tu anticipes bien ta vieillesse et que tu bâtis un 2e et un 3e pilier, tout part pour l’EMS. Mon imposant dossier qui réunit un nombre impressionnant de papiers à remplir et à fournir pour obtenir des prestations est en attente depuis 15 mois. Je ne sais pas de quoi sera fait mon avenir. J’ai un loyer très supportable avec ma maison, devrais-je la vendre et aller en appartement avec un coût largement supérieur? C’est une solution que j’envisageai à 80 ans et non à 70 ans! En comparaison, je suis également proche aidante pour ma maman qui ne possède pas de fortune et là, la décision d’octroi de prestations est tombée un mois après ma demande. Je vis une situation usante qui s’additionne à la fatigue» s’indigne D. en concluant pourtant par ces mots «le plus dur dans le parcours d’un proche aidant est de faire le deuil de la personne aimée telle qu’elle était avant et de se retrouver devant une tout autre personne».