CineDoc – On va tout… vivre ensemble !
“On va tout péter” Documentaire de Lech Kowalski
Charlyne Genoud | Deux ans après la lutte des ouvriers de GM&S à La Souterraine (Creuse), «On va tout péter» retrace les actions menées suite au projet de fermeture de l’entreprise. Se serrant les coudes pour ne pas rester bras croisés contre ce qui leur promet un avenir plus qu’incertain, des hommes organisent une longue et éreintante révolte, filmée avec beaucoup d’authenticité par le réalisateur.

Au cœur de la révolte
Caméra à l’épaule, Lech Kowalski nous emmène dans un paysage qu’il connaît bien: celui du monde ouvrier. « Mes parents étaient ouvriers. C’est une réalité que je comprends ». Si cela aurait pu le biaiser ou l’inclure lui-même dans la lutte, Lech Kowalski a su garder ses distances. Il filme sans relâche une lutte qu’il accompagne sans vouloir faire de la propagande, selon ses propos. Le film commence sur les mains d’un ouvrier à la pêche quelques jours avant le début de la révolte. Nous le voyons attraper un poisson, puis le remettre gentiment à l’eau. La caméra le suit ensuite dans son foyer, où le réalisateur partage avec lui et sa femme un moment d’intimité dans le cadre d’une discussion. Elle pleure, lui exprime ses peurs. Cet entretien qui introduit les images de révolte pose ainsi un cadre très humain et touchant avant de montrer toute leur colère. On peut s’imaginer alors un documentaire qui fera s’alterner des moments de proximité avec des ouvriers et des images de lutte, mais pas du tout. En effet, Lech Kowalski a pris le parti de filmer ce mouvement comme nous pourrions le vivre de l’intérieur. Certains ouvriers se détachent de la masse car ils en sont les porte-paroles, mais le groupe est surtout filmé en une entité, porteur d’une seule voix et inscrit dans un seul contexte: celui de leur rébellion.
Lutter ensemble
Ce procédé filmique est très intéressant puisqu’il n’est que peu scénarisé. Jours après jours, nous les suivons dans leur combat. Au cours des heures que nous passons ainsi à regarder leur lutte, nous y sommes réellement immergés, presque usés autant qu’eux par l’incompréhension d’une société mal pensée. Et puisque ce qui prône dans le film est une grande solidarité et un serrage de coude contre des puissances étatiques intangibles, nous nous y sentons immédiatement inclus. A l’heure où les organisations déplacent leurs manufactures dans des pays étrangers par souci pécunier, le contrat social se doit de réfléchir à ce qu’il adviendra des
personnes laissées au bord de la route.

Cinéma de la Grande Salle de Chexbres – Mercredi 4 décembre à 20h30 – Discussion en présence de M. Yves Defferrard, Secrétaire régional Unia Vaud. Apéritif offert à 20h
Lech Kowalski et les marginaux
C.G. | Né de parents polonais à Londres, puis migrant aux Etats-Unis, le réalisateur filme pour la première fois à l’âge de 14 ans, et prend pour sujet les rebelles de son école. S’en suivra une longue filmographie de la marge, retraçant les mouvements de libération sexuelle dans les années 70, la toxicomanie avec «Story of a Junkie» dans les années 80, la pauvreté avec «Rock Soup» en 91. Toujours dans le coup, le réalisateur semble alors tracer un fil rouge du marginal à travers les époques. S’ensuit la question de ce qui définit cette catégorie. Si le mot n’est pas forcément le premier qui nous viendrait en tête à la vue des ouvriers en lutte, on se fie tout de même à cet expert de la marge. Lui les voit comme des punks, en ceci qu’ils n’ont peur de rien. Les règles dictées ne sont plus prises en compte; elles ne font pas cas de leur souffrance. Si nous nous sentons immergés, c’est sûrement
grâce à l’intelligence filmique de Lech Kowalski qui a filmé les marginaux de toutes les époques qu’il a traversées. Le réalisateur raconte lors d’une interview pour Arte la peur contemporaine de la caméra médiatique, une peur qui ne touche pas ces hommes fiers de ce qu’ils font. Ainsi, il explique : « ils ont été gentils avec moi, ne me demandant jamais pour qui je filmais ou pourquoi. J’ai tenté moi aussi d’être gentil avec eux en tant que réalisateur ». C’est donc sûrement par cet échange honnête de bons procédés et cette proximité avec ces hommes qu’il parvient à nous faire réellement voyager et à nous faire prendre part à une lutte vécue de l’intérieur.