Lutry – Fête des Abbayes vaudoises
Augmenter la cadence et prouver que cette coutume a encore de beaux jours
Thomas Cramatte | Cet automne, malgré la pandémie et les nombreuses restrictions organisationnelles, la fête des Abbayes vaudoises de Lutry s’est déroulée au stand de tir de Chanoz-Brocard. Une tradition ancestrale vouant un culte à la concentration et à la convivialité, accompagnée de défilés, fanfares, repas et partage de verre de l’amitié. L’édition 2020 gardera, elle, un souvenir masqué et intime des 30 tireurs inscrits. Organisées une année sur deux ou tous les quatre ans selon les lieux, les fêtes d’abbayes sont en perte de vitesse. Le comité de l’Abbaye de Lutry augmente la cadence pour 2021 afin de prouver que cette coutume a encore de beaux jours devant elle.
Plus de 600 ans
Remontant au moyen-âge, les fêtes de tir ont traversé les siècles pour s’établir un peu partout dans le canton. Influencée par le jeu du Tir du Roy se pratiquant chaque printemps en France, la première fête de ce type recensée en Suisse date de 1381 et a été organisée par la Milice bourgeoise de Grandcour dans le district de la Broye-Vully. Durant l’ancien régime de Berne, ces manifestations représentaient une des rares occasions de s’amuser et de danser. Hormis l’aspect festif, ces concours favorisaient le maintien des capacités de tirs des archers, arbalétriers et, plus tard, des arquebusiers. « Les fêtes d’abbayes permettaient à la milice de s’entraîner contre une éventuelle attaque », explique Charles Monod, syndic et trésorier de l’Abbaye des Jeunes gens à Lutry. Très convoité à l’époque, le titre de vainqueur propulsait ce dernier au rang de héros et il se voyait exempté d’impôts (droit du papegai). Sans compter la fameuse timbale gravée à son nom et le droit de représenter la confrérie jusqu’à la prochaine fête des abbayes, l’année suivante.
La fête des bourgeois
Pour ramener le titre de Roy des tirs, les participants devaient réussir à viser le papegai placé en hauteur. La cible en bois représentait un oiseau s’apparentant à celle d’un perroquet accroché au sommet d’un mât, à la cime d’un arbre ou sur le toit d’une tour. « Ce rassemblement était surtout la fête des bourgeois », ajoute Henri-Louis Guignard, archiviste à la commune de Lutry. Rares sont les documents mentionnant les aspects techniques de ces fêtes. Toutefois, certains écrits relatent que la cible se trouvait au minimum à 40 mètres du sol. Au courant de l’année 1615, les autorités bernoises décident que chaque soldat doit s’entraîner à la pratique du tir, et ce, même en période de paix. Des journées dédiées au tir sont alors établies un peu partout dans le canton. C’est le début des exercices obligatoires. Suite à la fin de la domination bernoise du canton de Vaud le 24 janvier 1798 et la révision de la Constitution fédérale en 1848, les confréries de tir vont progressivement perdre en notoriété. Car le rassemblement de l’armée et l’interdiction de porter l’uniforme hors service n’autorisent plus les membres d’abbayes à parader en habit traditionnel. Malgré ces obstacles, les membres des Abbayes vaudoises ont prouvé leur attachement à cette tradition en adaptant leurs cérémonies.
Abbayes actuelles
En 2016, 177 abbayes sont dénombrées dans le canton de Vaud. Dans le district Lavaux-Oron, elles représentent 12 entités contre quatre pour la région du Jorat. Les plus anciennes sont l’Abbaye Militaire de Forel et l’Abbaye des Fusiliers de Lutry créées en 1736. Pour l’abbé-président, il est aujourd’hui plus simple de fusionner les trois sociétés que compte la ville fortifiée du bord du lac. « L’union des Abbayes de Lutry permettra d’organiser un rassemblement par année sans dévaloriser les anciennes sociétés », explique Jean-Pierre Ceppi. Planifiée habituellement une année sur deux, la fête des abbayes est le seul lien avec les membres tireurs. Au fil des ans, les cadences de rassemblement se sont espacées et l’avant-dernière cérémonie remonte à 2016 sur le territoire lutryen. « Nous avons observé que si cette tradition est trop espacée dans la durée, elle a tendance à se faire oublier », commente l’archiviste communal. Si les arcs et autres arbalètes ont été remplacés par des armes à feu, les cibles placées aujourd’hui à 300 mètres constituent l’objectif à atteindre. Le papegai a lui aussi été substitué par la forme plus conventionnelle de la cible militaire A. Les tireurs relevant le challenge peuvent s’armer d’un mousqueton, d’un fusil d’assaut 57 ou de l’actuelle arme de service, le fusil d’assaut 90. La future Union des Abbayes de Lutry sera bien sûr mixte et le couronnement se déroulera en automne de chaque année. Suivies d’un repas convivial, les cérémonies à venir joueront à nouveau leur rôle rassembleur, sans compter les nombreux prix à la clé pour les tireurs.