L’église d’Assens et son retable baroque, une rareté dans notre canton !

Une visite organisée par la Société vaudoise d’histoire et d’archéologie, sous la conduite experte de Mme Raemy-Berthod, historienne des monuments, nous a permis de découvrir ce trésor. L’église catholique romano-gothique d’Assens, entre Echallens et Bercher, est dédiée à saint Germain d’Auxerre. Elle dépendait du couvent d’Abondance en Savoie. Lorsque en 1536, le Pays de Vaud passa à la Réforme, la foi catholique subsista dans quelques paroisses du baillage d’Orbe-Echallens, possédé en commun par Berne et Fribourg depuis les guerres de Bourgogne. La région d’Echallens et environs est d’ailleurs aujourd’hui encore largement habitée par une population catholique autochtone. Quant à l’église d’Assens, nommée « église paritaire », elle fut vouée à la fois aux deux cultes. Elle comporte donc deux chaires distinctes. Les catholiques et les protestants se la
partageaient, non sans quelques tiraillements…
Pénétrons dans l’édifice, qui de l’extérieur est assez banal. La nef date de la fin du 12e ou du début du 13e siècle. Les restaurateurs ont dégagé du badigeon qui les recouvrait deux fresques datant du milieu du 15e siècle. Mais le principal intérêt du monument est son chœur, séparé de la nef par une belle grille en fer forgé, dont la serrure porte la date de 1696. Et à l’intérieur de ce chœur, un superbe retable baroque datant de la fin du 17e siècle, attribué au célèbre atelier Reyff de Fribourg. Le baroque, avec ses ors, ses angelots et son aspect théâtral, est l’art emblématique de la Contre-Réforme catholique. Il devait en imposer aux fidèles, les simples paysans de la région. De surcroît, il constituait une « Bible pour illettrés », en représentant visuellement la Vierge (devenue plus importante que le Christ lui-même !), les saints et les apôtres. Le protestantisme, lui, s’appuyait sur la « Parole », c’est-à-dire les textes de l’Ancien et du Nouveau Testament. Il favorisa donc l’alphabétisation. Ce retable comporte deux ailes qui servent de portes avec des bas-reliefs de l’Annonciation. A noter que, sous l’Ancien Régime, c’est-à-dire jusqu’en 1798, les rares catholiques résidant à Lausanne devaient se rendre à Assens pour y entendre la messe. Parmi eux, un certain Jean-Jacques Rousseau qui, après sa fuite adolescente, se rendit en Savoie voisine et se convertit au catholicisme, pour se mettre sous la protection de Madame de Warens, sa maîtresse qu’il appelait Maman…
En 1845, une nouvelle église catholique, à deux pas, fut érigée, grâce à la persévérance du curé qui parcourut toute l’Europe pour récolter des fonds. Elle est plus vaste et de style néoclassique. On peut y admirer un « bâton de procession » datant du 18e siècle. Autrefois, les catholiques organisaient de grandioses processions, avec oriflammes portant les images de la Vierge et des saints, en s’arrêtant devant les croix de « rogations » (prières d’intercessions notamment pour les récoltes). Ce qui ne manquait pas de faire grincer les dents à leurs voisins protestants…
Pour revenir au retable, il faut noter que cette remarquable œuvre d’art fut exposée au Musée historique de Lausanne en 1985-1986, après sa restauration, dans le cadre de « Trésors d’art religieux en Pays de Vaud ».
Outre son intérêt historique et esthétique, l’« église paritaire » d’Assens témoigne du fait que, malgré les guerres de Kappel, de Villmergen et du Sonderbund, catholiques et protestants ont réussi à coexister pendant des siècles, sans que notre pays ne connaisse jamais les horreurs de la Saint-Barthélemy. Ce qui atteste la capacité des Suisses, malgré leurs
différences de langues, de religions et de culture, à vivre ensemble…
