La petite histoire des mots – Esclavage
Georges Pop | Statues souillées ou déboulonnées, noms de rues attaquées et films historiques retirés : les manifestations anti-racistes qui ont éclaté peu après la mort de George Floyd, un homme noir de 46 ans, asphyxié par un policier blanc, lors de son interpellation à Minneapolis, reposent la question du passé colonial et esclavagiste des pays occidentaux, dont la Suisse. La controverse concerne, notamment, la statue, au centre de Neuchâtel, de David de Pury, bienfaiteur de la ville au XVIIIe siècle, dont les revenus étaient issus, pour l’essentiel, de la traite des noirs. Les Suisses, jadis, importaient des quantités industrielles de coton, de café ou de cacao, issus de l’économie esclavagiste, contribuant ainsi à la pérenniser.
Dans le contexte actuel, il est peut-être utile de rappeler que le mot « esclavage », issu de « esclave » nous vient du latin médiéval « sclavus » dérivé de « slave », les Slaves des Balkans ayant été les victimes d’un commerce massif d’êtres humains dès le haut Moyen-Âge. Les Francs, les Varègues de Scandinavie, les Gênois, les Vénitiens et, dans une très large mesure, les Turcs ottomans et les Arabes prirent part à cette traite des Slaves.
Ce commerce inhumain fut d’ailleurs contemporain des traites arabo et turco-musulmanes qui furent, historiquement, les premières à ravager l’Afrique Noire, mais aussi les rives européennes de la mer Méditerranée. Nombre de musulmans justifiaient alors sur des arguments religieux la réduction des infidèles en servitude. La demande en femmes, noires et blanches, perdura pendant des siècles, pour satisfaire, d’Alger à Bagdad, en passant par Le Caire, les besoins domestiques des émirs et des califes et pourvoir les harems orientaux en chair fraîche.
Soulignons que les textes fondateurs de l’islam, pas plus que ceux du christianisme, n’ont demandé l’abolition de l’esclavage. Ils le considéraient comme une institution « naturelle » dans le contexte de l’époque. L’Histoire retient généralement trois grandes traites négrières qui auraient abouti à la servitude d’environ 42 millions d’Africains, avec la complicité active des monarques africains eux-mêmes, sur fond d’antagonismes tribaux : la traite orientale, dite « arabe », principale composante en nombre, concernerait 17 millions d’individus; la traite occidentale, ou « traite atlantique », aurait touché 14 millions de personnes; quant à la traite «interafricaine», elle concernerait 11 millions d’hommes, de femmes et d’enfants. Vers 1900, rien qu’en Afrique occidentale française, sous le joug du colonisateur, on comptait plus de 7 millions d’esclaves.
L’esclavage est toujours vivant de nos jours, mais il reste le plus souvent caché, car illégal. L’esclavage des noirs par ascendance, par exemple, reste répandu en Mauritanie, dans une relative indifférence, y compris en Afrique, bien qu’il y soit théoriquement banni. Un rapport de l’Unicef révélait, il y a quelques années, que 1,2 millions d’enfants sont victimes, chaque année, du trafic d’êtres humains : des enfants sont exploités, en Afrique occidentale par exemple, dans le travail domestique ; en Inde, des fillettes sont enlevées puis expédiées dans des bordels; en Chine des enfants sont exploités dans des mines ou des briqueteries, sous la surveillance de chiens. Les crimes du passé ne doivent pas être oubliés, à condition, cependant qu’ils n’occultent pas les souffrances que génèrent ceux du présent… Les statues, elles, peuvent attendre !