La petite histoire des mots
Tollé

Georges Pop |. Qui n’a pas lu dans les journaux, ou entendu à la radio ou à la télévision, que l’offensive turque contre le Kurdistan syrien avait soulevé un «tollé» international? Le mot est revenu depuis deux semaines comme un leitmotiv pour exprimer l’indignation quasi-unanime que la décision du président turc Recep Tayyip Erdogan a suscité partout dans le monde; sauf naturellement en Turquie. «Tollé» désigne dans la langue française un cri d’indignation ou une protestation collective que ce soit au propre ou au figuré. Il est fascinant de constater que son origine est quasi-biblique. «Tollé» est en effet un dérivé direct du latin «tolle», infinitif du verbe «tollere» qui veux notamment dire dégraisser, embarquer et surtout, dans le cas qui nous occupe, enlever, ôter, emporter, supprimer ou même détruire. Ce terme latin a une place de choix dans la Bible. Dans l’évangile selon saint Jean (XIX, 15), il est dit que le peuple de Jérusalem exalté demanda au préfet romain de Judée, Ponce Pilate, de crucifier Jésus en hurlant: «tolle, tolle, crucifige eum» (emporte-le, supprime-le, crucifie-le). Dans l’évangile selon saint Luc (XXIII, 18), cette même scène voit la foule surexcitée crier «tolle hunc» (supprime-le). Personne n’ignore l’épilogue de cette vindicte populaire. On retrouve ensuite le terme, en vieux français, au milieu du Moyen-Âge, sous la forme «tolez» que les foules ou les individus hurlaient pour protester ou clamer leur indignation. Aux 15e et 16e siècles apparaît enfin l’expression «crier tollé après quelqu’un» qui signifie crier afin d’exciter l’indignation contre quelqu’un. Théoriquement, bien que tombée en désuétude, cette formulation, désormais un brin alambiqué, est encore valide car toujours admise par l’Académie française, gardienne de la langue. Depuis le 18e siècle, il est d’usage de l’utiliser dans des expressions telles que «soulever» ou «déclencher un tollé» et évoquer un «tollé général» ou encore un «beau tollé». Il est intéressant de noter que, sans doute à la mémoire du latin, on a parfois orthographié tollé sans accent. Dans ses «Illusions perdues», écrites en 1839, Honoré de Balzac écrit: «Vous y avez excité trop de jalousie, pour résister au tolle (sans accent) général qui s’élèvera contre vous dans les journaux libéraux». Relevons enfin que l’expression «levée de boucliers» qui est synonyme de «tollé» nous vient elle aussi de l’Antiquité latine. Au temps des Romains, une levée de boucliers était une démonstration collective de colère par laquelle les soldats romains manifestaient leur opposition aux ordres ou aux volontés de leur chef. Selon l’Académie, ce serait donc dans la tradition de ce refus militaire que l’expression aurait surgi dans la langue française vers le milieu du 15e siècle.