La petite histoire des mots
Voyage
Georges Pop | Depuis quelques semaines, on parle beaucoup dans le landerneau politique et dans la presse de certains voyages au financement contestable dont ont bénéficiés quelques élus romands; à commencer par celui du conseiller d’Etat genevois Pierre Maudet dont la confession publique a sapé son autorité et fragilisé le gouvernement de son canton; sans oublier ceux, au Grand Nord, de certains élus vaudois offerts par un milliardaire prétendument bienveillant. Le mot «voyage» désigne tout simplement l’action de se déplacer d’un endroit à l’autre, même si de nos jours il est le plus souvent associé au tourisme ou aux affaires. Le mot s’est développé tout simplement à partir du latin «via» qui signifie «chemin» et qui nous a laissé en français le mot «voie» mais aussi la préposition «via» qui veut dire «en passant par». Notre «voyage» contemporain a cependant été façonné à partir d’un autre mot latin, lui-même issu de «via», à savoir «viaticum», assigné aux provisions de voyage ou à l’argent destiné à couvrir les frais du déplacement. Ce terme nous a donné en français le mot «viatique» qui signifie exactement la même chose et qui est passablement tombé en désuétude dans le langage parlé même s’il subsiste notamment en littérature. Et c’est justement la prise en charge de ce «viatique» par des tiers riches et étrangers au profit de quelques élus d’ici qui soulève aujourd’hui une polémique aux dimensions politiques. Il est intéressant de mentionner en passant que chez les catholiques, le «viatique» définit un sacrement de l’eucharistie donné à un fidèle en danger de mort, afin de le préparer à son ultime voyage vers l’au-delà; à ne pas confondre cependant avec l’extrême onction qui consiste à oindre le front du mourant d’huile bénite pour l’assurer que le Christ l’accompagne dans son déplacement vers un monde meilleur. Pour en revenir à notre «voyage», nous observons que «viatique» s’est métamorphosé en «veiage» au 11e dans la «Chanson de Roland» pour retracer l’expédition de l’armée de Charlemagne au sud des Pyrénées. Dans les chroniques du 13e siècle le terme «voiage» s’applique uniquement aux campagnes des croisés et aux pèlerinages religieux. La forme moderne «voyage» apparaît quant à elle dès la fin du 14e siècle. Pour mémoire, les mots «tourisme» et «touriste» émergent de leur côté vers la fin du 18e siècle venant de l’anglais «tourist» qui qualifiait le voyage que faisaient les jeunes aristocrates sur le continent européen pour parfaire leur éducation, avant de gagner Rome, objectif final du périple. Dans les pays développés, le voyage est désormais inséparable du loisir mais aussi de l’apprentissage de la vie. Ne dit-on pas que «les voyages forment la jeunesse»? Ce proverbe est attribué à tort à Montaigne. Il est en réalité la synthèse de plusieurs citations et apparaît sous sa forme actuelle en 1835 dans le Dictionnaire de l’Académie. On retiendra encore cette phrase de Victor Hugo selon qui «voyager, c’est naître et mourir à chaque instant», pour constater un peu cyniquement que certains voyages ici ont, plutôt qu’une naissance, entraîné plus sûrement… une mort politique!