La petite histoire des mots
Iconoclaste

Le cinéaste franco-suisse Jean-Luc Godard, qui s’est donné la mort la semaine dernière à l’âge de 91 ans, a été très souvent présenté comme « le plus iconoclaste des cinéastes de la Nouvelle Vague ». La presse spécialisée a même souligné que, depuis la réalisation de son fim « A bout de souffle », en 1959, le cinéaste n’aura eu de cesse d’expérimenter de nouvelles formes de narration et de faire un « iconoclaste » des nouvelles technologies du 7e art.
De nos jours, par extension, le substantif ou le qualificatif « iconoclaste » désigne ou caractérise un individu ou un groupe d’individus qui s’opposent aux traditions ou aux habitudes du passé. A l’origine, cependant, ce mot était attribué à des chrétiens déterminés à détruire les icônes, autrement dit les images saintes, omniprésentes dans les églises, qu’ils considéraient être un héritage du paganisme. « Iconoclaste » est issu du grec byzantin « eikonoklastês » qui signifie « briseur d’images », lui-même issu du grec ancien « eikôn » qui veut dire « image » ou « icône », et de « klaô » qui l’on peut traduire par « briser ». Le mouvement iconoclaste, ou « iconoclasme » prit son essor en l’an 730 de notre ère, lorsque l’empereur byzantin Léon III l’Isaurien prononça l’interdiction des icônes du Christ, de la Vierge Marie et de tous les saints et ordonna leur destruction. Il était très vraisemblablement influencé par l’exemple des musulmans avec qui les Byzantins étaient fréquemment en guerre, mais avec lesquels ils commerçaient aussi en dehors des périodes de conflit.
Malgré les ordres de l’empereur, de nombreux fidèles, vivant ou non dans l’Empire romain d’Orient, où la langue officielle était le grec et non le latin, refusèrent de détruire leurs icônes. Ces partisans des icônes étaient appelés « iconodules » (serviteurs des icônes), le mot grec « doulos » voulant dire « esclave ». Les icônes furent à nouveau autorisées en l’an 787, à l’issue du second concile de Nicée, mais la polémique était loin d’être achevée.
Le terme « iconoclaste » fut adopté par la langue française au XVIe siècle, lorsque les protestants, sous la conduite, notamment, d’Ulrich Zwingli à Zurich et de Jean Calvin à Genève, appelèrent à la destruction des images religieuses, non seulement des icônes, mais aussi des crucifix, dont ils jugeaient la vénération comparable une adoration idolâtrique relevant du paganisme. Il est intéressant de noter que le mot « icône » a donné une bonne trentaine de mots français. Parmi eux : « iconographe », un professionnel de l’image ; « iconolâtre », un adorateur des icônes ; « iconologue », un expert en icônes, « iconostase », la grande cloison qui, dans les églises orthodoxes, sépare le sanctuaire de l’autel, ou encore « iconothèque », une collection d’image ou le local où elle est exposée.
Pour en revenir à Jean-Luc Godard, il est amusant de relever qu’il est lui-même souvent décrit comme « une icône du cinéma contemporain ». Comme quoi on peut-être iconoclaste tout en étant soi-même une icône encensée par de nombreux adorateurs.