Feu d’artifice d’expositions !
Au Musée Jenisch, à Vevey, jusqu’au 31 juillet


Pierre Jeanneret | Ce ne sont pas moins de trois expositions que l’institution veveysanne présente simultanément. La première est consacrée à Pietro Sarto, avec près de soixante gravures et cinq peintures de l’artiste nonagénaire, offrant ainsi un panorama de sa création de la fin des années 1950 à nos jours. « Toute ma vie, j’ai cherché à représenter ce que je voyais » : Sarto a donc refusé l’abstraction. Mais sa vision est profondément originale. Délaissant l’optique traditionnelle issue de la Renaissance, il a recours à la « perspective aérienne », qui rassemble plusieurs points de vue. L’objet, ou le paysage représenté, est donc vu à la fois de face, de haut et d’en-dessous. D’où ses célèbres paysages de Lavaux quasi inversés. Moins connues, ses peintures et gravures d’arbres ont pour sujet un élément stable, puissamment chevillé au sol. Originellement, dans l’histoire de l’art, la gravure était conçue pour accompagner des textes. On ne s’étonnera donc pas de trouver dans l’exposition des références à Dante, Ramuz ou Chessex.
Une autre salle est dévolue à Oskar Kokoschka, dont le Musée Jenisch possède la plus grande collection au monde, du fait de l’installation de l’artiste austro-hongrois sur le bassin lémanique. Cela après de longues pérégrinations de cet éternel voyageur, qui parlait de son « vagabondage sans fin ». Au cours de celui-ci, Kokoschka n’a cessé de dessiner. L’exposition présente donc une cinquantaine d’œuvres s’étendant de 1913 à 1973. En Italie, en Grèce et en Turquie, il a surtout montré les lieux culturels. Des grandes métropoles comme Londres et New York, il a relevé le dynamisme, par un trait rapide et parfois marqué par l’Expressionnisme. On notera tout particulièrement un dessin réalisé à Berlin en 1966, peu après l’édification du Mur. Très marqué par la Première Guerre mondiale, devenu pacifiste, Oskar Kokoschka y dénonce l’atteinte à la liberté.
Quant à l’exposition principale, elle occupe les deux salles du rez-de-chaussée. Elle est consacrée à l’Art cruel. Comme on peut le voir à travers les conflits en Ukraine et ailleurs dans le monde, la cruauté est hélas au cœur de l’homme. De tous temps, les artistes l’ont représentée. La présentation du Musée Jenisch comporte 182 œuvres de 83 créateurs, montrées de manière non chronologique, mais à travers quelques thèmes. Et d’abord celui de la Crucifixion, ce supplice romain particulièrement cruel. Le visiteur est, dès l’entrée, frappé par une peinture d’Antonio Saura, qui fut très marqué par la guerre civile espagnole. Dans cette toile où la figure du Christ est tout juste suggérée, la peinture rouge et noire coule comme du sang. On remarquera aussi la couronne d’épines faite de cristal conçue par Patrick Neu. Sans oublier de fortes gravures de Dürer ou Rembrandt. Autre thème religieux, celui du martyre. Saint Sébastien percé de flèches en est l’archétype, souvent avec une connotation homosexuelle. D’autres œuvres, anciennes ou contemporaines, représentent le Massacre des innocents et la décapitation de Saint Jean Baptiste, pour complaire aux caprices de la princesse Salomé, fille d’Hérodiade.
Les œuvres les plus fortes, à nos yeux, se trouvent dans la deuxième salle, qui évoque la guerre. Les gravures de Goya, qui dénoncent les horreurs commises par les troupes napoléoniennes en Espagne, sont insoutenables, tout comme celles de Jacques Callot au 17e siècle, intitulées Les Misères et les malheurs de la guerre. Plus proches de nous, les dessins à l’encre de chine de Jacques Grimberg représentent des visages terrifiants qui pourraient être des éléments de corps pourrissants. Quant à Zoran Music, qui fut déporté à Dachau en 1943, il a voulu, par ses eaux-fortes montrant des cadavres aux corps décharnés, rendre hommage aux victimes de la barbarie nazie. Certains voudront peut-être se détourner de pareilles images… Nous croyons au contraire qu’il faut voir la réalité en face, fût-elle atroce. Cela d’autant plus qu’il n’y a dans les œuvres exposées au Musée Jenisch aucun voyeurisme malsain.
« Art cruel », « Pietro Sarto. Chemins détournés », « Kokoschka. Grand voyageur », Vevey, Musée Jenisch, jusqu’au 31 juillet.


