Evian met en valeur des peintres oubliés de la Belle Epoque
«Derniers Impressionnistes, le temps de l’intimité» Palais Lumière, Evian-les-Bains, jusqu’au 2 juin

Pierre Jeanneret. |. Le temps est venu des excursions en bateau vers Evian-les Bains. Pourquoi ne pas ajouter aux plaisirs de la traversée et de la bonne chère une dimension culturelle? Pour celles et ceux qui ne le connaissent pas, ce sera l’occasion de découvrir le superbe bâtiment du Palais Lumière. Construit au début du 20e siècle comme établissement thermal, il est très représentatif de l’architecture Art nouveau prisée dans les villes d’eau, comme par exemple Vichy. En 1996, la Ville d’Evian en est devenue propriétaire et a reconverti l’édifice en centre culturel. Des expositions y sont régulièrement présentées. La présentation actuelle est consacrée aux «derniers Impressionnistes». En 1900, une série d’artistes créent la Société Nouvelle de Peintres et de Sculpteurs. Ils sont issus de la génération symboliste, mais aussi du Pointillisme et surtout de l’Impressionnisme, d’où l’appellation qui leur est parfois accolée. Ils refusent le Cubisme et les autres tendances de l’art abstrait et restent fidèles à la figuration. Ils entendent perpétuer les valeurs permanentes de l’art européen. Il y a donc un aspect un peu passéiste dans leur démarche. C’est sans doute la raison pour laquelle la plupart de leurs noms – hormis bien sûr celui d’Auguste Rodin – sont aujourd’hui oubliés ou méconnus. L’exposition qui leur est consacrée est donc d’intérêt inégal, mais réserve de forts belles surprises.
D’Henri Martin (1860-1943), on admirera une Esquisse des vendanges, où l’on sent une forte influence de Pissarro et du Pointillisme. Plusieurs de ces artistes étaient issus du Nord de la France (Bretagne, Picardie) ou de l’Europe. Le Flamand Emile Claus (1849-1924) a peint une superbe grande toile, Port à Londres, dans la ligne des recherches de Monet sur la lumière à travers le brouillard. Quant à Charles Cottet (1863-1925), il traduit magnifiquement, dans deux toiles représentant aussi des ports, le frémissement de l’eau sous les effets des lueurs orangées du crépuscule. Il est un peu à la Bretagne ce que Bocion est au lac Léman. Dans d’autres tableaux, d’intérêt plus ethnographique, il immortalise une Bretagne encore rurale, très catholique, où les femmes portent sabots et coiffes, sur fond de chapelles. Et toujours parmi les Nordiques, relevons le nom du Norvégien Frits Thaulow (1847-1906), qui est allé planter son chevalet dans différentes régions d’Europe, notamment dans son pays, à Lillehammer. Le peintre sans doute le plus intéressant du groupe (auquel est d’ailleurs consacré un court-métrage d’archives) est Henri Le Sidaner (1862-1939). On aimera surtout ses tables garnies dans un jardin, peintes à Gerberoy, un village médiéval où il s’était établi.
Ce groupe d’artistes a aussi réalisé de nombreux «portraits psychologiques», mais c’est dans les paysages qu’il a donné le meilleur de sa production. L’étage inférieur de l’espace muséal est consacré aux estampes. Celles-ci connurent un renouveau à la fin du 19e siècle, dont ils surent profiter, et cela en utilisant diverses techniques: le dessin, la lithographie, l’aquarelle, l’eau-forte, la gouache, le pastel… Des huiles aussi dans ce sous-sol, où sont fréquemment représentées des scènes de bains de mer. Les femmes des années vingt, qui ont abandonné le corset étouffant, y arborent des tenues légères et affirment par là une nouvelle liberté corporelle. Que ce soit à travers leurs évocations de soirées mondaines à Paris ou de vacances sur les plages, les artistes appartenant à la Société Nouvelle de Peintres et Sculpteurs témoignent donc aussi de leur époque. Leur style entre tradition et modernité semble en tout cas attirer au Palais Lumière un nombreux public. Ajoutons que la projection d’un bon documentaire synthétique permet de (re)voir les différentes phases de l’Impressionnisme.
«Derniers Impressionnistes. Le temps de l’intimité», Palais Lumière, Evian-les-Bains, jusqu’au 2 juin


