Des chiffres pas des lettres
Marie | Ce soir-là nous sommes en terres fribourgeoises, un loto va commencer bientôt, le bénéfice reviendra à la société sportive locale. La salle se remplit tout doucement, d’abord avec les habitués qui choisissent toujours le même endroit, un rituel bien rodé. Arrivent ensuite les retardataires qui bloquent la caisse en quête du carton fétiche, pourvu que les chiffres 9 et 90 ou le 58 et le 11 y soient inscrits! Une fois que tout ce petit monde est bien installé, le brouhaha s’éteint lentement faisant place au silence, coupé par le crieur qui passera la soirée à répéter inlassablement des chiffres. Des chiffres et pas des lettres! Durant plus de deux heures les heureux gagnants des quines et des cartons vont exprimer leur joie bruyamment s’égosillant, entrecoupés des clameurs abrégés par la voix du crieur. C’est un jeu où il ne faut pas s’endormir, il demande la concentration, la rapidité et bien entendu ne pas avoir peur de crier bien fort. En plus il est nécessaire d’avoir la chance, la coquine tourne et choisit au hasard, va-t-on savoir pourquoi, soit un côté de la salle soit qu’une tablée, au grand dam des voisins, verts de jalousie qui voient passer les paniers garnis sous leurs yeux impuissants. Le rôle du crieur est de rappeler à l’ordre et taire les indisciplinés. Au micro, il annonce déjà le début de la série royale, comme ça file vite, surtout quand on perd, et alors qu’un calme presque religieux règne, on entend nettement un enfant: – Dis tata, la prochaine fois, tu me laisseras prendre mes voitures, regarde la dame qui gagne tout le temps, elle en a pris pleins de petits jouets!