Cinéma – « Tom Medina » de Tony Gatlif
Ne demeurer rien ou tout habiter

Charlyne Genoud | Avec Tom Medina, Tony Gatlif part de sa propre expérience pour imaginer un personnage aussi fier que paumé. Le film sélectionné au Festival de Cannes, l’année passée, raconte les troubles d’un jeune homme en reconstruction rencontrant une nature farouche et mythique, celle de la Camargue.
Identité Tom Medina
Il saute, il rit ou ricane, trébuche, tombe à plat dans la boue et pourtant son rire sonore presque grinçant se laisse entendre encore. Lorsqu’il se relève, il crie son nom fièrement: «Tom Medina» et son regard noir perce le ciel couvert de la Camargue. Le personnage qu’imagine Tony Gatlif oscille sans cesse entre superbe et démence, entre cris de joie et de douleur. On ne sait pas d’où il vient, et même lui semble avoir perdu de vue son identité originelle sous le poids des mensonges. C’est ainsi avec un dossier truffé d’inventions qu’il arrive chez Ulysse, gardien en Camargue, sur l’ordonnance d’un juge pour mineur. Dans cet homme droit et carré, Tom trouve une figure paternelle apte à répondre à ses cris et à tonner contre son insolence.
Suzanne ne sourit pas
A ce dossier, il sera toujours ramené, que cela soit par Ulysse, ou par sa fille Stella, tous les deux ne se doutant pas que la réalité du jeune homme qu’ils hébergent est bien loin de ce qu’il raconte. La rencontre de Suzanne, activiste antipollution, vendeuse de romarin sur la place du village et sans domicile fixe désarme cependant le bluff du héros. Lui qui rit sans cesse, d’un rictus qui par sa sonorité s’apparente aux larmes, rencontre une jeune femme qui refuse de sourire. Alors que la bande originale composée et interprétée par Sun, Nicolas Reyes et Manero, vivifie le ton de certaines séquences, certaines s’en trouvent exemptes. C’est le cas des doux moments des deux nouveaux amants, en plans tellement serrés que la société qui les marginalise est oubliée.
Fouler le sol camarguais
Le silence, c’est aussi celui de la nature de la Camargue, un sol que Tom Medina foule en pleine perdition. Une terre mythique, connue pour ses superstitions. Le film mêle dès lors un récit individuel à une dynamique locale, alors que Tom Medina a de plus en plus de visions. Ces dernières se retranscrivent dans le film par le son. Très sensible aux arts, il entend par exemple les cris d’un tableau représentant un naufrage. Petit à petit, le son devient image, visions: Tom Medina lâche tout lorsqu’il voit apparaître un taureau blanc. Le séjour de rupture devient ainsi
symbole de confrontation avec ses démons, relayés par ces bruitages du souvenir et par le rapport aux bêtes.
Se regarder et manger
Gardien du sauvage, Tom domestique ainsi ses souvenirs autant que les taureaux d’Ulysse. Lui qui fuit sans cesse, depuis ses quatorze ans, est ainsi confronté à une famille immobile, habitant la Camargue et son delta depuis toujours. Au-delà de la confrontation avec lui-même, le jeune homme semble apprendre ainsi à demeurer. « Comment habite-t-on une terre quand on ne la quitte jamais ? » semble interroger le long-métrage. De cet arrêt dans son mouvement permanent, il apprend à se regarder en face, mais absorbe aussi une nouvelle culture qui le nourrit, que cela soit par la superstition ou par la langue provençale que lui enseigne Ulysse. Tom a oublié la langue de sa mère, il connaît désormais la langue de son père, du moins symboliquement.
« Tom Medina » Fiction de Tony Gatlif
France, 2021, 100′, VF, 16/16 ans
Au cinéma d’Oron, le samedi 25 juin, à 20h


