Cinéma – Le triste ordinaire des urgences marocaines
Charlyne Genoud | Mohcine Besri image l’émotion d’un chagrin d’amour entre un citoyen marocain et son pays. Transcrire la peine de cœur que crée le dénuement d’appartenance à son pays, en mots puis en images, en s’emparant d’un hôpital de Casablanca, et de son fonctionnement. La maladie d’un système, à voir au cinéma d’Oron.

Présélection direction huis-clos
Le début pourrait être la fin, la fin le début : un homme perché sur un pont menace de sauter sur l’autoroute qui file sous ses pieds. Il saute sur une voie qui le mène directement à l’hôpital. Parallèlement, Driss et Zahra se dirigent aussi vers le lieu de santé publique pour tenter de soigner leur fils Ayoub, dont l’état dégénère. L’homme du pont ne semble à ce stade plus rien voir, désillusionné, alors que le petit Ayoub, dans ces seuls instants du film où le monde extérieur existe, l’absorbe et le notifie : « des moutons sur l’autoroute ! un train dans la ville ! ». Rapidement, ces deux trames narratives en mouvement, décrivant le rapport au monde de l’un et l’autre, se rejoignent en un huis-clos. Un huis-clos d’autant plus fort, qu’il ne se laisse pas apercevoir au début. L’enfermement de la caméra en un lieu arrive ainsi progressivement, alors que le scénario l’explicite parallèlement.
Soigner un chagrin d’amour
Dans ce lieu où personne ne choisit d’être, règne un escroc avide d’argent et distributeur de rendez-vous indécents par leur éloignement meurtrier. Autour, les mères forment un ensemble de pleurs et de plaintes, comme des madones au pied de leurs fils sacrifiés. De ce triste fond se détache les silhouettes d’Ayoub et de ses parents, luttant pendant tout le film pour être pris en charge. Fil narratif principal de Une urgence ordinaire, il est observé par l’homme ayant tenté de mettre fin à ses jours. Sans cesse observateur secret de la progression du récit, il relaie la position spectatoriale tout en fournissant une deuxième couche presque fabulaire au récit. Le personnage incarne ainsi le sens, l’émotion, plutôt qu’une identité. Son suicide résulte d’un chagrin d’amour, celui d’un citoyen marocain mal aimé par son pays.
Le relief de l’hôpital
Fondamentale pour l’originalité de ce long métrage, la présence de ce personnage anguleux et boiteux vient sans cesse mettre en perspective la quête des autres. Il erre dans l’hôpital, vêtu de cette longue chemise blanche, l’air de savoir déjà comment tout cela va finir.
Le relief qu’il amène au récit est par ailleurs relayé par des cadrages et surcadrages révélant la profondeur de champ, comme dans une scène où deux personnages partagent de l’eau de vie en la renommant eau de mort. Personnage éventuellement principal du long métrage, l’hôpital est brossé dans tous ses reliefs cloisonnants, murs, catelles et fenêtres, illustrant l’enfermement quand l’ailleurs (une clinique privée) est hors de portée.
« Ma place est ici, du moins si j’y arrive » résumera ainsi l’un des personnages en quête d’une vie digne. Un scénario qui explique ainsi une tentative de suicide qui a déjà eu lieu.
Une urgence ordinaire (Mohcine Besri, 2022).
A voir au cinéma d’Oron : Vendredi 2 septembre et dimanche 4 septembre à 20h

que par le positionnement des personnages dans l’image
