Arts Vivants – Poulpe Frictions
Poulpe Odyssée, par Anne Ottiger, au Caveau du Cœur d’Or, à Chexbres
Grégoire de Rham | Lors de l’un de ses trop rares seul-en-scènes, présenté au Théâtre Fontaine en 1986, l’humoriste Pierre Desproges raconte une séance durant laquelle son psychiatre lui fait remarquer que la meilleure façon de guérir de ses obsessions et de ses maniaqueries serait de tenter une thérapie de groupe. Devant sa peur de devoir débourser des sommes astronomiques, celui-ci lui rétorque : « Au contraire. Pour la thérapie de groupe, donne-toi en spectacle. C’est toi qui seras payé. »
Et si le théâtre et, à plus large échelle, tout événement spectatoriel, avait justement une fonction thérapeutique ? Si ce que l’on cherchait, en voyant un artiste se produire, c’était simplement de nous connecter à une partie de nous-mêmes ? La question mérite d’être posée au sortir de Poulpe Odyssée, premier seul-en-scène d’Anne Ottiger, présenté ces 22 et 23 octobre au Caveau du Cœur d’or, à Chexbres.
Cette performance, qui sort des codes traditionnels du one-woman-show peut, en premier lieu, perturber le spectateur non-averti, lorsque la comédienne arrive sur le devant de la scène, un foulard dans les cheveux et deux valises à la main, prête à nous dévoiler pêle-mêle quelques moments de sa vie. Mais bien vite, ce même spectateur se retrouve emporté dans le récit endiablé de cette mystérieuse femme-poulpe. L’artiste convoque avec elle toute une ribambelle de souvenirs de moments vécus et de personnages rencontrés, pour nous plonger dans un méli-mélo d’émotions. Devant ce florilège, on se sent parfois happé par une phrase, un mot une expression qui nous ramène à des événements vécus, qu’ils soient agréables ou non.
Anne Ottiger, plus habituée à des aventures théâtrales collectives (entre autres avec le groupe de cabaret des Swinging Bikinis), décide cette fois-ci de se lancer seule dans l’arène. Portant ce spectacle avec force, générosité, conviction, envie et dynamisme, elle y prend le risque non négligeable de dévoiler une intimité faite d’incertitudes, de vulnérabilité et d’imperfections. Mais ce sont précisément ces confidences et cette authenticité qui touchent le public au cœur. Ce sont elles qui réveillent chez le spectateur ces souvenirs endormis et qui, l’espace d’un instant, lui disent : « tu n’es pas seul ». Dès lors, le pari de la comédienne est gagné : elle trouve avec le public cette communion et ce partage qui font du théâtre un art unique en son genre. Un art qui, sous couvert de thérapie de groupe, est avant tout et surtout, un lien nécessaire entre êtres humains.