Re: cloisonnement du monde
Laurent Vinatier | Si on en croit Hollywood, dont les films-catastrophe à base de pandémie mondiale terriblement meurtrière s’avèrent curieusement crédibles – World War Z n’est pas si mal – l’épisode Ebola ne fait que commencer. Dans n’importe quel scénario, on atteint les 3000 morts, chiffre réel actuel, après une dizaine de minutes de film. Puis, cinéma oblige, l’action s’accélère: les virus prennent possession de villes entières, le chaos règne, la vie humaine est réduite à quelques poches de résistance ultra-barricadées derrière de hauts murs. Les réalisateurs n’ont pas le temps de s’arrêter aux détails intermédiaires, tels que le renforcement des contrôles frontaliers dans tous les pays du monde, la mise en quarantaine de quelques Etats considérés comme «source», la suspicion généralisée de tous vis-à-vis, de tous et notamment, dans notre cas réel, des ressortissants africains. A Hollywood également, on ne ferait que peu de cas d’une déclaration de directrice du FMI appelant à rompre l’isolement des trois Etats africains les plus touchés. Dans la vraie vie, ce que Christine Lagarde a effectivement dit le week-end dernier mérite qu’on s’y arrête.
Tout ce qui fait notre monde plus petit, plus rapide et plus connecté, ce que les savants appellent la globalisation le rend aussi finalement plus dangereux. Il est bon de pouvoir, partout sur la planète, communiquer, voyager, échanger, partager ou agir sans trop d’obstacles. Mais à cette communauté de ressources ou d’opportunités répond celle des risques. Les frontières en effet tombent pour tout le monde: pour les hommes d’affaires et le commun des mortels comme pour les virus, les titres financiers «pourris» et les djihadistes. En ce sens, Ebola, la crise financière de 2008 et l’Etat islamique aujourd’hui participent d’un même mouvement et traduisent une réalité identique. Après les bienfaits de la globalisation, il faut désormais affronter ses effets pervers, gérer les menaces qu’elle induit. Une réponse logique serait de mettre en œuvre une solution commune. La raison voudrait que notre monde globalise le reste pour faire face aux épreuves. Il se pourrait que cela soit plus efficace. Les errements des négociations sur le climat ne poussent cependant guère à l’optimisme.
La tendance serait plutôt au repli sur soi, à l’autoprotection. C’est «humain, trop humain», aurait dit un ami; si naturel. Lorsque le vent global tourne, le protectionnisme revient. On recrée les frontières. On cloisonne de nouveau. La ségrégation redevient un mot à la mode et un but politique en soi; avec toutes les injustices et les inégalités que cela transporte. Les portes et les passages se ferment. Des îlots de vie (ou de chaos), quasiment déconnectés les uns des autres, font leur apparition. Certains sont plus prospères que d’autres, plus riches et plus sains, aseptisés. La Suisse aujourd’hui en est un. L’Europe (avec la Suisse) demain pourrait en être un autre. Bien en peine, hélas, celui qui voudrait juger de cette nouvelle tournure. Est-ce bien? Est-ce mal? Il faut surtout s’éloigner de ceux qui prétendent pouvoir trancher. Les deux postures se valent en vérité. Rien ne prouve en effet que nous soyons tous responsables des uns des autres. Christine Lagarde voudrait que les affaires continuent. Il faut aussi tenir compte de l’intégrité
personnelle de ceux qui les mèneront.