Via Jacobi – Lovatens-Montpreveyres
De nombreux catholiques entreprennent un pèlerinage. Aujourd’hui, une nouvelle population s’intéresse à cette démarche, composée de randonneurs, d’orthodoxes, d’athées, de protestants qui ne se reconnaissent pas dans le culte des saints, mais tous y voient une spiritualité très forte. C’est ainsi que le Conseil de l’Europe a reconnu, en 1987, le pèlerinage de Saint Jacques comme « le premier itinéraire culturel ».
Christian Dick | L’association helvétique des Amis du chemin de Saint Jacques de Compostelle est née le 31 janvier 1988, dans le but de rationaliser les parcours utilisés par les pèlerins en Suisse et de représenter un lien entre pèlerins et personnes intéressées à cette aventure humaine. Douze itinéraires culturels, des « Via », constituent une offre de randonnées d’envergure nationale. Une seule traverse la Suisse de part en part, la Via Jacobi, en allemand Jakobsweg. Vingt étapes relient Rorschach à Genève, du lac de Constance au lac Léman, sur une distance de 645 kilomètres. La Via Jacobi est indiquée par le chiffre 4 en blanc sur fond vert. Le balisage est bi-directionnel. Un demi-cadre bleu foncé entourant le 4 indique l’aller. Les premiers pèlerins utilisaient des voies communes aux marchands, aux troupes ou aux compagnons-artisans. Ils choisissaient comme eux le trajet le plus propice. Aujourd’hui, l’association en uniformisant les trajets offre des chemins balisés et la possibilité de rejoindre aisément le réseau des transports publics, où la ville de Moudon retrouve une place d’accueil. http://www.stetienne-moudon.ch

Quelle est alors la différence entre un pèlerin et un randonneur ? Marcher peut relativiser son rapport à la distance, à la vitesse, à l’environnement. Il arrive que des cyclistes se croisent de front et vous frôlent. Quel serait le résultat si la même attitude prévalait au volant d’une voiture ? Tout s’arrêterait-il soudain, le chemin, la vie, les projets, les idées, ceux qu’on aime ?… Aborder un pèlerinage est une initiative personnelle. Un voeu est en principe à son origine. Il permet de parvenir au bout du voyage avec une réponse à ses questions, à ses attentes. C’est ce qui distingue le pèlerin du randonneur. Pour le premier, le chemin intérieur est souvent plus long et plus sinueux que celui qui mène au bout du chemin. Les visites d’édifices religieux ou les pauses, l’éveil à la foi et la fatigue constituent des éléments importants du voyage. Où se situe la limite ? Peut-on la reculer dans le domaine spirituel ? C’est le tracé régional du fameux chemin qui nous intéresse ici, qui relie Lovatens à Montpreveyres, la première localité vaudoise à la dernière, peu avant Epalinges et le district de Lausanne.
La limite entre les cantons de Fribourg et de Vaud se situe sur une crête. Derrière, Romont et les Préalpes fribourgeoises, devant Lucens et au loin, la chaîne du Jura. A mesure qu’on descend la pente et qu’on se rapproche du château, on distingue mieux les différents stades de sa construction. En quittant Lovatens, on arrive à la magnifique église de Curtilles, bâtie en 1231, sur un ancien édifice dédié à saint Pierre, datant du XIe siècle, dont il ne reste aucune trace. Le choeur fut reconstruit au XVIe siècle. L’édifice est doté d’un clocher-arcade courant aux premiers temps du christianisme et réapparu au XVe siècle dans les petites églises de campagne, faute de moyens. Selon un commentaire retrouvé dans l’église, la chouette sculptée au pied de la chaire représenterait la parole de Dieu qui transperce de son regard l’obscurité du monde. L’église est considérée comme l’une des plus anciennes de l’évêché de Lausanne. Dans le livre d’or de l’église de Curtilles, des pèlerins, des visiteurs et même un athée ont félicité les autorités locales pour laisser ouvert ce joyau de l’art roman (brochure offerte par le Conseil paroissial de Curtilles-Lucens).

Le tracé suit ensuite la Broye qui fait parfois le bonheur de baigneurs ou de pêcheurs. Cependant, selon un voyer croisé sur place, le nombre de vipères est en augmentation depuis quelques années. Elles sont toutefois craintives et le risque d’une morsure écarté au moindre bruit. Connue à l’époque romaine sous le nom de Minnodunum, l’antique cité de Moudon figurait déjà comme un lieu de passage important. Les comtes de Genève sont à l’origine, vers 1130, de sa fondation en bourg fortifié. Vers la fin du XIIe siècle, les ducs de Zähringen (qui ont notamment créé Fribourg et Berne) pénétrèrent dans le Pays de Vaud. L’extinction de leur dynastie en 1218 laissa leur territoire à la Maison de Savoie sous l’autorité de l’évêque de Lausanne. Avec Pierre II de Savoie, Moudon alla même bénéficier d’un incroyable développement. Les bourgeois de la ville affranchis de l’autorité de l’évêque lausannois sont venus rejoindre le grand mouvement d’émancipation des villes. Moudon devint la capitale du comté de Vaud et le grenier à blé de la région. Une population nouvelle modifia la physionomie de la ville. Les ressources financières se développèrent. Berne et les Confédérés en gagnant les batailles de Grandson et de Morat en 1476 gagnèrent en influence. En 1536, Moudon n’attendit rien de son protecteur Charles III de Savoie et se soumit sans difficulté au nouvel occupant et à la Réforme. La ville perdit progressivement son importance politique et économique. J’ai commencé la visite de la ville par l’église St-Etienne, construite comme toutes les autres à partir du chœur, de l’est à l’ouest. Bâtie en bordure ville, elle se fondait à l’époque avec les murailles. Le choix de l’emplacement n’était pas dû au hasard, probablement un lieu de culte depuis l’antiquité. Des tombes retrouvées tendent à accréditer cette hypothèse. La mention d’une église est d’ailleurs évoquée dès 1134. Les cloches sonnent tous les quarts d’heure.
En grimpant la rue du Château, on découvre une vieille ville jolie et bien entretenue, ces qualités qui font mentir la réputation douteuse que traîne la ville auprès des riverains du lac. Longer la Broye est plaisant. C’est plat et sensiblement plus aéré car on y marche souvent à l’ombre. Je me suis baigné dans une eau fraîche et agréable. Quel bonheur! Puis j’ai poursuivi mon chemin. Après le camping, la piscine et une zone industrielle d’un côté et la place d’armes de l’autre, je suis arrivé à Bressonnaz où la Bressonne et le Carrouge se sont rejoints pour se jeter dans la Broye, puis j’ai continué au soleil jusqu’à Syens où l’église était fermée. C’est ensuite seulement qu’on rentre dans les bois du Jorat et qu’on profite à nouveau d’un peu d’ombre. Le chemin n’est pas difficile. Il n’a que deux pentes, celle qui descend sur la Bressonne, et l’autre qui en remonte. On arrive alors à la ravissante chapelle de Montpreveyres qui jouxte une ancienne cure du XVIe siècle qui abrite la salle du Tilleul et un hébergement pour les pèlerins aménagé en 2018, El Jire, Dieu
pourvoira, en hébreu. Le lieu était déjà connu en 1177 comme prieuré des chanoines de l’Ordre de saint Augustin. Les armoiries de Montpreveyres incluent un rossignol. Le dernier prieur, Nicolas de Wattewille, portait ce surnom en raison de sa proximité avec les idées de Luther (Gîte Le Jire). Hans Sachs mit dès 1520 son talent d’écrivain au service de la Réforme et composa le « Rossignol de Wittenberg » pour exposer les idées de Luther au plus grand nombre. Dans la forêt du Jorat avant Sainte-Catherine, je me suis arrêté à une fontaine pour m’y reposer et pique-niquer. Un voyer a arrêté sa voiture, s’est rincé les bras et m’a assuré que l’eau de cette source était la meilleure du canton, avec une autre à Froideville, et que je devais y remplir ma gourde. Nous avons discuté un moment, puis, avant de partir, il m’a encore conseillé de boire. « Toujours boire avant d’avoir soif, m’a-t-il assuré, sinon c’est le coup de pompe. » Les anciens prétendaient que seul le chemin comptait. J’ai préféré donner de l’importance au but. Mais en fait, en chemin, on admire ses sites, on pénètre des lieux historiques ou symboliques, on peut y prier, on s’imprègne de paysages, on fait des rencontres, un Tchèque qui avale 50 km par jour et se serait trouvé mal à Genève, un Autrichien qui a déjà parcouru 1000 kilomètres, une mère et sa fille dont on se demande quel est l’événement qui les réunit en pèlerinage plutôt que sur une plage ou sur les cimes ? Toutes ces étapes font de vous un autre homme. Je ne suis pas arrivé à la maison qu’Arvid, votre rédacteur en chef, m’a envoyé un message. Nous nous sommes retrouvés sur le banc des blagueurs à Epesses. Parfois, le chemin subit quelques entorses. Mais qui s’en plaindrait ?



