Conséquences du coronavirus dans nos campagnes
Engouement positif pour les produits locaux et la vente directe

Gil. Colliard | A l’annonce des premières mesures de restrictions dues à la propagation du coronavirus, la population s’est ruée sur les denrées de première nécessité, un réflexe instinctif, dicté par la peur du manque. Devant cette crise inédite, nous avons pris la température auprès des hommes de la terre, les fournisseurs des matières premières qui remplissent nos assiettes. Comment gèrent-ils leurs exploitations ? Quelles sont les implications des différentes mesures sur leur organisation ? La production est-elle impactée ? Parmi les nombreux modèles de producteurs, trois représentants des filières : laitière, viande et maraîchère ont accepté de nous parler de leur quotidien actuel.

Peu de changements pour la production laitière
Pas de modification significative dans son exploitation, axée sur la production de lait bio pour la famille Ramseyer de Palézieux. « Le travail se fait normalement. Notre équipe se compose de mon frère Gérald, un employé, deux apprentis et moi. Nous avons fait deux groupes en respectant les distances et mis en place le lavage des mains toutes les heures. Nos tâches s’effectuent la plupart du temps seul. Pratiquement nous ne rencontrons pas de grands problèmes. Le lait est récolté à la ferme par camion, la demande et les prix sont restés stables. Toutefois, une légère baisse a touché le lait conventionnel » constate Eric Ramseyer qui reconnaît être privilégié en regard d’autres acteurs de l’économie. L’accès des semences au printemps auprès du Centre agricole d’Oron s’est fait sans souci. De ce côté-ci, le manque de précipitations printanières inédit de six semaines, était plus préoccupant pour la germination des semis, faits fin mars, que le virus. Mais fort heureusement les pluies sont revenues. Productrice de biogaz pour son utilisation privée et pour le chauffage à distance du bâtiment scolaire de Palézieux, la famille Ramseyer enregistre une baisse de revenu due à la fermeture de l’école où seule une température minimale est maintenue. Pour cette activité, le ravitaillement en fumier extérieur n’a pas changé. Chacun arrive et repart à son tour et pour l’entretien du mécanisme, le réparateur travaille seul. « Par chance, nous n’avons pas été malades. Il aurait été compliqué de trouver quelqu’un pour le remplacement. Je dirais même que nous n’avons pas le droit d’être malades ! » relève l’agriculteur.
Explosion de la vente directe en général
A Puidoux, les exploitations de Pascal et Stéphane Martin sont axées sur la production de viande de bovins, porcs et volaille. Il y a 35 ans, leur papa Georges a ouvert sa propre boucherie à la ferme, qui emploie aujourd’hui quatre personnes. Leur self-service récoltait déjà un beau succès avant l’arrivée de l’épidémie mais depuis, la demande est partie à la hausse. « Nous avons dû nous adapter pour suivre les recommandations et gérer les paramètres devant l’afflux de monde. La police est venue nous conseiller et constater que tout était fait selon les règles. Pour parer à l’attente des clients, parfois jusqu’à une heure devant la porte, nous avons disposé des chaises à distance, mis de la musique et des panneaux explicatifs sur les énergies renouvelables produites sur le site (biogaz et courant vert). Les enfants, eux, ont un parcours pour voir les animaux » explique Stéphane Martin évoquant un potentiel découragement de leur clientèle face à l’attente et profitant de rappeler aux producteurs et consommateurs l’existence, à Puidoux-Village à côté de la Gondolière, d’un marché paysan en libre-service géré par Laurent Chaubert. « La majorité des agriculteurs producteurs de viande souffrent de la chute des prix due à la saturation du marché. L’écoulement étant ralenti par la fermeture des restaurants et fast-foods, entre autres. Les paramètres sont différents en fonction des choix faits pour leurs exploitations » rappelle-t-il. Quant aux travaux des champs, ils ont suivi le rythme de la nature. Ici également la sécheresse a été une grande préoccupation… même s’il a plu depuis…

Création du marché à la ferme pour écouler la production
Vendant sa production maraîchère au marché de Vevey, Nicolas Flotron, de Forel-Lavaux, a dû revoir sa stratégie devant la fermeture due aux mesures sanitaires. « Des clients m’avaient déjà fait la demande et je réfléchissais à la vente à la ferme. Cette situation a donné l’impulsion. Des papillons ont été distribués lors du dernier jour de marché ouvert, j’ai mis une information sur les réseaux sociaux et ça fonctionne » se réjouit le jeune agriculteur pratiquant l’élevage des vaches allaitantes, sans vente directe de viande et la culture maraîchère. Déjà organisé pour la préparation des paniers de légumes hebdomadaire, secondé par sa famille, un apprenti agriculteur, et trois employées à temps partiel, il fait face à la demande qui a presque doublé. « Nous avons dû mettre des clients en liste d’attente au vu de la demande, sans compter la vente à la ferme les mardis, jeudis et samedis. Mes deux fournisseurs, l’un valaisan et l’autre de Villeneuve qui complètent ma production en profitent aussi. Cette organisation demande plus d’énergie et de temps à consacrer aux appels téléphoniques. Par chance, je peux compter sur mes parents, mon frère, ma sœur et mon beau-frère pour préparer une bonne partie des commandes le soir avant la livraison » explique-t-il. A la vente directe, les mesures de sécurité ont aussi été mises en place. L’acheteur ne touche pas les produits. Il demande et on le sert. La désinfection est faite entre chaque client. Des scotchs au sol permettent de respecter la distance de sécurité. Côté viande, vendue sous les différents labels « Natura », une légère perte de prix s’est fait ressentir. Les semis, les plantations, la taille des arbres fruitiers se sont déroulés comme d’habitude. Les semences commandées à l’automne ont été livrées à temps de même que les plantons. « Paradoxalement, depuis chez moi, je n’ai pas eu l’impression que le monde se soit arrêté » constate-t-il. Il reprendra les marchés à leur ouverture complète et gardera, pour sa clientèle une vente à la ferme, hebdomadairement, une matinée et éventuellement une fin de journée.
Pas concernée par l’épidémie, la nature suit son cours et nos agriculteurs ont dû et su trouver des solutions pour que cette branche de l’économie reste active. Si cette crise débouche sur une prise de conscience de la part des consommateurs, espérons qu’à l’heure du retour à la normale, cet engouement positif pour les produits locaux et la vente directe, ne s’essoufflera pas.
